top of page

Photographies © atelier FLAMBEAUX

Poser un regard patrimonial sur l’espace urbain - (en cours d'écriture)

En ce début de XXIᵉ siècle, marqué par un profond changement de paradigme sociétal et les bouleversements de notre rapport à l’habitat — notamment liés à la récente crise sanitaire —, il est légitime de se demander ce que signifie aujourd’hui : « Vivre en centre-bourg d’une petite ou moyenne ville ? »

Dans les territoires d’avenir, les élus misent sur l’effet levier du patrimoine, en valorisant la matière sensible qui compose les centres anciens — ce que François Rabelais qualifierait de "substantifique moelle" —, pour les dynamiques économiques vertueuses et l’ancrage identitaire qu’elle permet. Ainsi, la dimension culturelle du développement durable engendrerait des retombées positives : investissement privé, vitalité du commerce local, réappropriation des lieux par les habitants. Cette dynamique pérenne favoriserait l’émergence de nouveaux espaces partagés, de nouvelles façons d’habiter, de nouvelles mixités sociales et de nouveaux usages familiaux — conciliant les avantages de la ville et ceux de la campagne.

C’est en ce sens que les acteurs de la revitalisation — architectes, paysagistes, urbanistes, historiens, archéologues, économistes, ingénieurs, bureaux d’études, etc. — ne peuvent plus se soustraire à la vocation sociale du patrimoine. Il nous faut désormais accompagner une prise de conscience collective de sa vertu, pour ce qu’il peut offrir d’enracinement et de sens commun dans nos existences. Issu du fond des âges, le patrimoine témoigne d’une intelligence primitive dans l’organisation des villes anciennes et de leur relation savante au territoire. Façonnés par les besoins du quotidien, ces tissus urbains et ruraux mettaient en œuvre des dispositifs répondant aux aspirations d’une société d’autonomie et d’autosuffisance — une source d’inspiration précieuse dans un monde occidental à venir, où les ressources énergétiques seront probablement plus contraintes, et les déplacements plus limités.

Il s’agirait donc de saisir l’opportunité que représente l’adaptation à nos milieux et à leurs climats en mutation — ainsi que la nécessité de réinventer nos modes de vie modernes — pour affirmer une vision à long terme en matière de planification urbaine, pleinement cohérente avec cet héritage. Dans son ouvrage "Le Patrimoine en question, Anthologie pour un combat", Françoise Choay parle d'une "pratique mémorielle qui conditionne l'innovation".

Ainsi, l’enjeu est bien de s’inscrire dans un continuum avec nos ascendances, dans la mesure où il nous incombe, éthiquement et moralement, de transmettre un récit mémoriel à la fois signifiant et authentique. Il s’agit de veiller à ce que cette narration commune se perpétue dans le respect d’une vérité archéologique et historique irréfutable.

À cette fin, nous cherchons à cultiver un regard résolument transcalaire, intégrant la préservation et la valorisation du patrimoine dans ses dimensions architecturale, urbaine et paysagère, ainsi que dans toutes ses composantes, qu’elles soient matérielles ou immatérielles. Une démarche en écho à l’évolution des lois patrimoniales promulguées au cours du XXᵉ siècle, qui ont progressivement élargi le champ de la protection à mesure que notre sensibilité s’affinait et que la notion même de patrimoine se précisait.

Or, pour rendre ce passé accessible au plus grand nombre, nous devons nous doter d’outils méthodologiques ciblés, permettant d’identifier, d’évaluer puis de documenter au mieux les persistances. Nous espérons ainsi conduire chacun à un sentiment contemplatif du merveilleux — une redécouverte de cette beauté diffuse où la présence quotidienne de l’histoire continue d’irradier les générations.

L’espace de projet devient alors le meilleur vecteur pour expérimenter cette dimension sensible, qui fait que l’on peut s’émouvoir d’une architecture du quotidien sans connaissances spécialisées pour pouvoir l’apprécier. Nous pensons en effet qu’il est impératif de ne pas sur-intellectualiser le patrimoine, mais de rendre sa lecture accessible à tous. Un enfant devrait pouvoir comprendre un projet d’aménagement urbain sans être confronté à des concepts complexes ou des idées imperméables.

À ce titre, nous nous appuyons sur la notion de Stimmung, ce terme allemand désignant la perception immédiate des choses — autrement dit, la capacité innée de tout être humain à capter l’atmosphère d’un lieu. Chacun est en mesure de percevoir intuitivement les qualités d’un espace et d’en faire une expérience sensorielle à part entière. Le projet se doit ainsi d'intégrer simplement et en justesse cette qualité préexistante sans être bavard, ni muet.

 

Notre démarche commence ainsi par l’interrogation des spécificités propres à chaque ville. S’il existe bien sûr les Monuments Historiques — repères emblématiques et fédérateurs —, il nous faut aussi nous attacher aux atmosphères vibratoires des lieux, à la complexité sensorielle des espaces urbains. Forts de leurs singularités, villes et villages apparaissent alors comme des ensembles cohérents, riches de séquences spatiales remarquables qu’il nous appartient de révéler, de souligner, de sublimer.

Le diagnostic urbain dépasse donc largement le simple exercice d’inventaire. Il s’intéresse aux intentions originelles et à la genèse de la ville, aux facteurs régulateurs de sa croissance, aux particularités de son implantation, aux permanences, ruptures et transformations de ses tissus, et aux lignes directrices qui ont progressivement structuré l’espace. Cette analyse permet aussi de repérer et d’alerter sur certains mécanismes de mise en péril ou d’altérations récurrentes qui fragilisent des vestiges souvent dissimulés aux yeux des passants, tout comme aux regards aguerrit.

En somme, il s’agit de projeter la ville vers l’avenir en s’appuyant sur les traces tangibles de son histoire lisibles dans les sols. Nous n’inventons rien : nous révélons les potentialités du déjà-là, où les orientations émergent d’elles-mêmes, et où le plan-guide relève de l’évidence. 

 

Une politique urbaine ainsi fondée serait librement comprise et spontanément désirée par ses habitants, car naturellement favorable à leur bien-être et à leur qualité de vie dans le prolongement extérieur de leur logement. Le prisme patrimonial, comme vecteur de reviviscence, permettrait alors d’enclencher un processus de requalification suffisamment raisonné, pour que les générations futures soient en mesure de relever les défis qui les attendent en toute quiétude.

Enfin, le véritable combat serait de donner aux familles les moyens de réhabiliter leur propre bâti ancien, en recourant aux techniques traditionnelles et à des matériaux biosourcés. Car seule la main amoureuse d’un habitant peu fortuné aura la patience de faire du beau dans son logement. Il s’agit de réapprendre, de réacquérir et de transmettre les savoirs et les gestes de nos anciens. Depuis des millénaires, les humains produisent une architecture vernaculaire, savante et riche — une architecture sans architectes, façonnée par l’expérience, le climat, les ressources locales et la transmission orale. Redonner à chacun la capacité de participer à cette chaîne ininterrompue du bâti, c’est faire revivre une culture constructive profondément humaine, et ré-ancrer nos territoires dans une histoire sensible, partagée, et durable.

L.F - 24.12

Laurène Flambeaux

bottom of page